Pour une meilleure résilience du système alimentaire
Agriculture durable

Pour une meilleure résilience
du système alimentaire

Une équipe du Laboratoire de production de biomasse cherche à améliorer les méthodes de production agricole intérieure et locale, dans le but de cultiver des fruits et légumes frais toute l’année

par Sara Brown

Dans le mouvement moderne de l’alimentation responsable, le « local » est sur toutes les lèvres. Pourtant, le concept n’a rien de nouveau : pendant la grande majorité de l’histoire de l’humanité, toute la nourriture était locale.

« À une lointaine époque, les gens consommaient les produits de leur propre culture, de leur chasse et de leur cueillette », note Mark Lefsrud, professeur agrégé en génie des bioressources à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement (SAE) de l’Université McGill.

Il souligne cependant que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, « nous avons changé de modèle. Aujourd’hui, environ 5 % de la population mondiale fournit 95 % des aliments consommés dans le monde. Le problème, c’est que nous n’avons aucune résilience dans cette situation. »

Les conséquences des changements climatiques, la hausse des coûts des carburants, les conflits géopolitiques et la moindre poussière dans l’engrenage de la chaîne alimentaire mondiale font peser une menace sur les huit milliards de personnes qui dépendent de ce système pour se nourrir.

Pour créer un système agroalimentaire plus durable et résilient, il faut, entre autres solutions, augmenter la production locale et intérieure afin de prolonger la période de croissance et d’améliorer l’accès à des produits frais.

Le professeur Lefsrud est à la tête du Laboratoire de production de biomasse de McGill, l’une des initiatives de la Faculté des SAE qui s’attaquent au double problème de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire, comme le renommé Institut Margaret A. Gilliam pour la sécurité alimentaire mondiale. Le Centre pour la pérennité des ressources alimentaires et hydriques regroupe l’ensemble de ces initiatives dans le but d’accélérer les découvertes en laboratoire et leur application sur le terrain, de la ferme à l’assiette.

Gros plan de Mark Lefrsud.

Notre objectif est de produire environ 1 % de toute la laitue consommée au Canada. Si nous parvenons à 10 %, nous pourrons fournir des laitues à toute la population de Montréal. »

« Notre but, c’est de revenir à un modèle de production alimentaire en partie local et axé sur le développement durable », déclare le professeur Lefsrud, expert de l’agriculture en environnement contrôlé.

Il estime que son approche peut apporter une solution révolutionnaire au manque d’aliments de saison et aux déserts alimentaires – ces zones au cœur des villes comme dans les régions rurales ou éloignées où il est difficile de se procurer des fruits et légumes frais.

Si on arrive à prolonger la courte saison agricole au Canada, Montréal pourrait, par exemple, fournir plus de fruits et de légumes cultivés sur son territoire.

On pourrait ainsi cultiver toute l’année des légumes verts à feuilles et des fruits tels que les fraises et les framboises, et prolonger jusqu’à trois ou quatre mois la saison de croissance du maïs, entre autres.

« Notre objectif est de produire environ 1 % de toute la laitue consommée au Canada, précise le professeur Lefsrud. Si nous parvenons à 10 %, nous pourrons fournir des laitues à toute la population de Montréal. »

Des aliments plus nutritifs, plus vite

Au Laboratoire de production de biomasse, l’équipe de recherche s’efforce d’améliorer les environnements contrôlés en vue de rehausser l’efficacité de la production intérieure à grande échelle et la qualité nutritionnelle des fruits et légumes qui en sont issus.

Un environnement contrôlé est un lieu clos ou intérieur où les facteurs environnementaux comme la température, l’humidité, le taux de dioxyde de carbone (CO2), la lumière et le système d’éléments nutritifs sont réglés de manière à favoriser la croissance des végétaux.

L’une des plus importantes études menées au Laboratoire porte sur la réaction des plantes aux changements de source de lumière.

Ces dernières années, l’éclairage à DEL a remplacé les systèmes d’éclairage à large spectre dans les environnements contrôlés. Mais ce type d’éclairage a un spectre étroit : une ampoule DEL rouge, par exemple, est essentiellement rouge, c’est-à-dire qu’elle comporte peu d’autres longueurs d’onde. Le professeur Lefsrud et son équipe cherchent à comprendre les effets de ce changement sur la croissance des végétaux.

« Comment une plante réagit-elle lorsqu’elle est soumise à un spectre de lumière étroit?, se demande le chercheur. Sera-t-elle plus petite ou plus grande, et produira-t-elle plus ou moins de fruits? C’est ce que nous voulons savoir dans le cadre de nos travaux. »

Marc Lefrud souriant devant une jardinière.

Et les résultats sont prometteurs. Sous un éclairage à spectre étroit, le rythme de croissance des plantes est accéléré et atteint dans certains cas le double du rythme observé sous un éclairage traditionnel.

Pour accélérer davantage la croissance, l’équipe de recherche a utilisé l’enrichissement en CO2, qui réduit en outre les besoins en eau et en engrais.

« Ironiquement, les changements climatiques sont bons pour les plantes, assure le professeur Lefsrud. Elles n’aiment pas le taux actuel de CO2 dans l’environnement, qui est d’environ 400 parties par million. En environnement contrôlé, nous tentons d’atteindre de 750 à 1 500 parties par millions. Au lieu de rejeter le dioxyde de carbone dans l’atmosphère, nous l’injectons dans la serre pour accélérer la croissance des plantes. »

L’équipe tente également d’améliorer la densité nutritionnelle des végétaux en modifiant les systèmes d’éclairage et d’éléments nutritifs.

Par exemple, certaines longueurs d’onde colorent les feuilles en violet foncé, presque noir. Ce changement indique que la plante produit beaucoup d’anthocyanes riches en antioxydants, soit les pigments qui donnent leur couleur rouge, bleue ou violette aux fruits et légumes.

Par ailleurs, en modifiant l’apport en engrais, en microorganismes ou en régulateurs de croissance dans le système racinaire, l’équipe de recherche a pu accélérer la croissance des plantes et pousser la plupart d’entre elles à accumuler plus de nutriments comme les vitamines et le calcium.

Réputé comme un « superaliment » pour sa valeur nutritive élevée, le chou frisé, parfois appelé kale, contient autant de calcium que le lait de vache. Or, en modifiant la source de lumière ou les éléments nutritifs dans la zone des racines, le professeur Lefsrud et son équipe ont réussi à doubler, voire à tripler l’accumulation de calcium, qu’on trouve donc dans le chou frisé en plus grande quantité que dans le lait de vache et sous une forme hautement biodisponible.

« Une feuille de chou frisé équivaut pratiquement à un comprimé de vitamines », illustre le professeur.

Des conditions de croissance parfaites grâce à la technologie

Le Laboratoire utilise des capteurs, des systèmes de vision artificielle, l’intelligence artificielle (IA) et des microprocesseurs Raspberry Pi pour observer en temps réel les changements qui se produisent dans les plantes et leur environnement.

Les systèmes automatiques – Graal de l’agriculture en environnement contrôlé – règlent les facteurs environnementaux pour maintenir en tout temps les conditions de croissance parfaite.

« Je suis passionné de technologie et de programmation depuis toujours », affirme Robinson Cayre, étudiant de quatrième année en génie des bioressources. « Un environnement contrôlé conjugue la culture agroalimentaire et la technologie utilisée à cette fin. C’est ce que j’adore. »

Robinson Cayre adossé à un mur dans une serre à McGill.
Robinson Cayre, étudiant de quatrième année en génie des bioressources

Il a effectué un stage au Laboratoire l’été dernier, grâce aux fonds du programme de stages Alton et Dianne McEwen et famille, qui soutient l’apprentissage expérientiel pour la population étudiante de la Faculté des SAE. L’expérience a été très enrichissante pour lui, que la pandémie avait privé de telles occasions.

« J’avais une grande autonomie et j’ai beaucoup appris pendant mon stage. J’ai pu faire des expériences concrètes, et c’est cent fois mieux que de lire une présentation », ajoute Robinson Cayre, qui comptait parmi les 26 étudiantes et étudiants à avoir obtenu des fonds du programme de stages McEwen l’an dernier. « Le stage a avivé ma passion pour les microcontrôleurs et toutes leurs fonctions. Depuis, j’utilise des capteurs connectés à Internet dans tous mes projets. Je sens que je m’améliore chaque fois. »

Fort de cette expérience, l’étudiant développe son propre système automatisé pour la culture de champignons dans le cadre de son projet de design. Avec ses collègues, il construit un placard de culture relié à une application Web qui règle tous les facteurs environnementaux (taux d’humidité, température, taux de CO2, etc.). Si le projet réussit, ce système pourrait changer la donne dans la culture de champignons, qui reste fortement manuelle.

« De nos jours, la technologie et la sécurité alimentaire vont de pair », souligne Robinson Cayre, qui entend continuer son travail sur les systèmes de surveillance par IA après ses études. « L’automatisation des réglages fait gagner beaucoup de temps et optimise la production. C’est très important de développer ces technologies et de les déployer sur le terrain. »

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